jeudi 20 novembre 2008

L’édition-scrapbooking ou Le triomphe des gens riches et ordinaires

J’ai un préjugé favorable pour les maisons d’édition indépendantes. J’en suis à ma troisième révision linguistique bénévole parce que je crois au projet de ces trois cinglés inventifs et audacieux. Je fréquente avec joie et curiosité l’Expozine et autres événements de l’édition indépendante et j’aime y acheter des livres qui ne seraient souvent pas vendus ailleurs, pour de multiples raisons institutionnelles.

Mais quand je tombe sur un article comme celui-là dans les grands titres de la section Arts et spectacles de Radio-Canada.ca et de Yahoo Québec, loin devant les articles sur le Prix du gouverneur général de Marie-Claire Blais et le prix Louise-LaHaye de Daniel Danis, j’avoue que ma bonne volonté fout le camp : « édition indépendante » ne veut pas dire « scrapbooking ».

L’histoire est n’a rien de neuf. Comme beaucoup de quinquagénaires, Francine Blanchette, une femme ordinaire qui « n'a rien de l’intellectuelle québécoise », décide d’écrire un roman. Son œuvre est refusée par les maisons d’édition. Tenace, elle décide alors de s’éditer elle-même.

Là n’est pas le problème : les publications à compte d’auteur, ça fourmille tellement que La Presse en a déjà fait un phénomène de société. Si ce n’était que ça, on rigolerait un peu devant son site Internet au graphisme arc-en-ciel et à la programmation boiteuse, on la trouverait bien chanceuse d’avoir une si bonne illustratrice et on oublierait tout ça.

Non, le problème, c’est que, parce qu’elle a les moyens de se payer une table, elle dédicacera son œuvre pendant 6 jours au Salon du livre de Montréal. Et le problème, c’est aussi que Radio-Canada, plutôt que de relever l’absurdité de ce critère de sélection, en profite pour nous faire croire que la littérature est comme un meuble IKEA : tout le monde peut le faire, même sans outils!

Alors que des dizaines de maisons indépendantes publient des livres de qualité à prix décent et n’ont pas les moyens d’envoyer leurs auteurs au Salon du livre, Francine Blanchette peut y dédicacer son roman en toute légitimité simplement parce qu’elle a le fric (il faut dire qu’elle a le culot de vendre son livre 32,95$). Et c’est d’elle qu’on parle dans les médias, dans cet article navrant de pauvreté stylistique, au lieu de parler de la véritable persévérance en littérature – celle qui se vit loin des regards, faute de moyens.

Je n’irai pas au Salon du livre cette année. Je serai à l’Expozine, les 29 et 30 novembre, avec ceux qui choisissent de faire les choses différemment.

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