jeudi 26 avril 2012

Lettre à ma fille

Adèle,

Tu n’es pas à la maison aujourd’hui, et je devrais profiter de ces heures de tranquillité pour travailler. Mais comment travailler quand j’ai encore dans la tête les images de la manifestation d’hier soir, des journalistes poivrés en direct et des manifestants chargés par l’anti-émeute avec quelques minutes de préavis? Quand j’entends le premier ministre continuer de jeter de l’huile sur le feu? Quand la colère et l’impuissance me brûlent encore l’intérieur?

Le 2 mai 2011, il y a presque un an, je t’ai présenté mes excuses pour la première fois, alors que tu n’étais même pas encore née : malgré tous nos efforts, nous n’avions pas réussi à empêcher l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur. Je savais alors que les prochaines années seraient chargées de colère et d’inquiétude, mais je croyais que ces sentiments me viendraient d’Ottawa – je ne croyais pas que je les ressentirais en regardant les images de ce qui se passait à Québec, dans ma province et dans ma ville.

Quand la grève étudiante a commencé, j’étais fière. Fière de voir le mouvement grossir, de voir les manifestations pacifiques et artistiques se multiplier, d’entendre des profs et des chroniqueurs prendre position, de voir des médias proposer une couverture impartiale du conflit. Mais ma fierté, aujourd’hui, est ternie par la judiciarisation du conflit, par la violence qui éclate de tous les côtés, par l’obstination du gouvernement à mener une guerre sémantique pour diviser le mouvement, par la liberté de presse bafouée et par la répression policière.

Nous t’avons mise au monde dans un Québec qui m’indigne, me déçoit et me fait peur. J’ai peur qu’il y ait mort d’homme. J’ai peur que le gouvernement gagne sa guerre des mots et les élections qui suivront. J’ai peur que les manifestations à venir se transforment toutes en émeutes. J’ai peur de la réponse policière démesurée, de l’exaspération des journalistes et des citoyens. J’ai peur d’une fin amère et de la désillusion des étudiants meurtris.

J’aimerais te dire que le pays où tu es née est grand et beau, que l’éducation et la connaissance y sont valorisées, que les droits y sont toujours respectés, que son gouvernement est à l’écoute de tous les citoyens, que toutes les luttes se mènent avec les paroles et non avec les poings, et que les policiers nous protègent et nous aident. En ce moment, je ne peux pas.
C’est pourquoi aujourd’hui, 26 avril 2012, je te présente mes excuses pour la deuxième fois, et je te promets de faire de mon mieux pour que, bientôt, nous soyons tous fiers à nouveau.

Maman

lundi 22 août 2011

Mme Maigret et moi

Je l’avoue. Parfois, seulement parfois, j’envie Mme Maigret.

Le matin, Mme Maigret se lève de bonne heure, prépare du café et en apporte une tasse à Maigret. Son mari parti, elle passe une partie de la matinée à faire son ménage, puis elle sort faire son marché avec son filet à provisions. La boucherie, la fruiterie, la fromagerie, la boulangerie. Toujours les mêmes fournisseurs, qu’elle connaît bien et en qui elle a confiance.

Ensuite, elle rentre à la maison et prépare un déjeuner bien français : de l’andouillette, ou du foie de veau. Certains jours, Maigret rentre déjeuner avec elle, marmonne quelques mots sur son travail et repart. D’autres jours, elle mange seule, et elle ne semble pas s’en plaindre.

Ses après-midi sont plus flous. Elle écoute la radio, lit les journaux, fait du tricot dans un square. Ou alors elle téléphone à sa sœur en Alsace. Et pour le repas du soir, elle prépare un plat bien français : de la blanquette de veau, ou de la raie au beurre noir. Avec Maigret, ils vont au cinéma après le repas, à pied, en se tenant par la taille. Ou alors, ils mangent avec leurs amis les Pardon, et Mme Maigret chuchote dans un coin avec Mme Pardon pendant que les hommes boivent de la prunelle.

Mme Maigret a la vie des femmes de sa génération, la vie que j’imagine à ma grand-mère lorsque les enfants avaient quitté la maison. Une vie simple, en ordre, heureuse et sans histoire. Parfois, seulement parfois, je l’envie. Pourtant, Mme Maigret est le contraire du féminisme, et le contraire de la vie que je mène. Mme Maigret est une ménagère exemplaire : timide, dévouée à son mari, gardant ses opinions pour elle et sans projet ou ambition qui lui appartienne. Elle est à cheval sur la propreté et sur la morale bourgeoise de l’époque - elle est même un peu prude.

Mais Mme Maigret réussit à faire tout ce que je ne sais pas faire : tenir sa maison propre, prendre le temps de choisir chaque ingrédient et cuisiner des repas complexes chaque jour, mener une vie paisible et organisée. Parfois, comme elle, j’aimerais être capable d’avoir une routine, de ne pas m’éparpiller sans cesse, de finir ce que je commence, de faire le ménage correctement, de me contenter de peu.

Parfois, j’aimerais que ma vie soit simple et prévisible comme celle de Mme Maigret.

Mais seulement parfois.

jeudi 14 juillet 2011

Jolies choses

Depuis quelque temps, ma quotidienne tournée des blogs s'est allongée et s'est enrichie de blogs de design, de lifestyle, de DIY et de jolies choses en tout genre. Voici quelques-unes de mes découvertes:

Unruly things et son petit frère Unruly little things : deux blogs de lifestyle tenus par Alyson Brown, dont le fils Wolf a 3 semaines de plus que ma fille. Elle a commencé Unruly little things pendant sa grossesse et y écrit des billets sur des jolies choses pour enfants et sur la maternité.

Poppytalk : tenu par deux Vancouverois. Plusieurs billets par jour, beaucoup de belles idées.

Design mom : tout est dans le titre! Designer et mère de six (six!) enfants, Gabrielle Blair passe en ce moment une année en France avec toute sa famille et blogue à propos de toutes sortes de choses qui touchent au design et à son expérience d'expatriée temporaire.

Making it lovely : Nicole Balch retape sa maison et partage toutes sortes de projets et de trouvailles.

mercredi 13 juillet 2011

L'émergence


Ma fille a presque un mois et, après les interminables jours d'attente qui ont précédé son arrivée, les dernières semaines ont passé à une vitesse folle. C'est peut-être parce qu'on s'attendait au pire, mais tout est finalement plus facile qu'on l'imaginait, et l'amour qu'on a pour cette si petite personne est tout simplement renversant.

Maintenant qu'un semblant de routine s'est installé, j'émerge tranquillement de la brume qui entoure le premier (les premiers?) mois de vie d'un être humain pour retoucher, un petit morceau à la fois, à des projets qui n'ont aucun lien avec ma descendance.

Partir de rien en est au sprint final pré-impression, et les deux premiers chapitres sont corrigés. Ben fait un superbe travail avec la couverture, comme d'habitude. Restez à l'affût, j'annoncerai la date du lancement en août.

Et, inspirée par des adeptes du DIY comme Catherine, j'envisage, entre deux couches, de fabriquer des petites lanternes avec des LED pour éclairer la cour, pour les (nombreux) soirs où les copains viennent prendre une bière, ou deux, ou trois.

vendredi 10 juin 2011

L'attente


Le plus dur, ce n'est pas le ventre qui s'alourdit, pas les aller-retours constants aux toilettes, pas les fausses contractions qui se multiplient, pas les coups de pied de plus en plus vigoureux, pas même les maux de dos. Tout ça, je peux facilement en prendre pour encore 10 jours, même que j'aime encore ça.

Le plus dur, c'est l'attente. Le stand-by. Ne pas oser trop s'éloigner de la maison. Faire des plans conditionnels. Guetter les signes sans savoir si on en a pour deux heures ou deux jours. Essayer de profiter du temps qu'il reste sans savoir combien de temps, exactement, il reste.

Le plus dur, c'est cette impression de vivre sur du temps emprunté.

dimanche 8 mai 2011

Rédiger au printemps

C'est dur de travailler quand, par la fenêtre, c'est le printemps.

samedi 7 mai 2011

Terre étrangère

"On entre en société comme en terre étrangère", dit Ferdinand Tönnies dans cette citation que j'ai postée fin mars. Je n'ai jamais autant ressenti la vérité de cette phrase que dans la soirée du 2 mai, pendant que je regardais le nombre de sièges des Conservateurs monter jusqu'à atteindre la majorité. Une majorité sans le Québec, balayé quant à lui par la fameuse vague orange que les chroniqueurs de toutes allégeances interprètent à tort et à travers depuis bientôt une semaine.

Pendant cette soirée électorale, j'ai senti que le Québec était ma communauté et que le Canada était cette société étrangère à laquelle il est si difficile d'appartenir. Même si je ne me fais pas beaucoup d'illusion sur la force des convictions gauchistes de mes concitoyens (après tout, la dernière vague de changement a mené à un triomphe adéquiste), les résultats prouvent quand même, une fois pour toutes, que le Québec et le ROC veulent des choses différentes et, apparemment, inconciliables.

Depuis bientôt deux ans, je m'acharne à analyser trois pièces de théâtre qui, à mon avis, règlent le problème de la crise identitaire par l'ouverture de la communauté sur l'Autre. Aujourd'hui, l'Autre ne me plaît pas du tout, et j'ai moins que jamais envie de m'ouvrir sur lui. Et plus que jamais, j'ai envie que, collectivement, on reproduise ce miracle qui nous fait voter tous ensemble dans la même direction et, en l'occurrence, complètement à l'envers du reste du pays, pour enfin se donner le droit d'avoir notre propre pays, dans lequel on n'entrerait pas comme en terre étrangère.

Les Canadiens n'ont pas besoin de nous pour fonctionner, ils nous l'ont bien démontré lundi dernier. Alors, qu'est-ce qu'on attend?