lundi 19 octobre 2009

Le papier contre l'écran

Umberto Eco est un de mes penseurs préférés, parce qu'il sait faire image et expliquer des théories complexes dans des termes qui sont tout sauf pompeux et universitaires. J'aime sa façon inclusive de considérer la littérature, en particulier la littérature populaire. Bref, je l'aime parce que c'est un théoricien ouvert (comme l'oeuvre).

J'ai trouvé, sur cyberpresse, un extrait d'une entrevue qu'il a accordé à Télérama à propos du livre électronique. Je me suis évidemment précipitée pour le lire, et j'aimerais le partager avec vous :

“L’e-book, sur lequel le feuilletage est possible, a beau se présenter comme une nouveauté, il cherche à imiter le livre. Dans une certaine mesure seulement, puisque, sur un point au moins, il ne peut l’égaler : le livre de papier est autonome, alors que l’e-book est un outil dépendant, ne serait-ce que de l’électricité. Robinson Crusoé sur son île aurait eu de quoi lire pendant trente ans avec une bible de Gutenberg. Si elle avait été numérisée dans un e-book, il en aurait profité pendant les trois heures d’autonomie de sa batterie. Vous pouvez jeter un livre du cinquième étage, vous le retrouverez plus ou moins complet en bas. Si vous jetez un e-book, il sera à coup sûr détruit. Nous pouvons encore aujourd’hui lire des livres vieux de cinq cents ans. En revanche, nous n’avons aucune preuve scientifique que le livre électronique puisse durer au-delà de trois ou quatre ans. En tout cas, il est raisonnable de douter, compte tenu de la nature de ses matériaux, qu’il conserve la même intensité magnétique pendant cinq cents ans. Le livre, c’est une invention aussi indépassable que la roue, le marteau ou la cuiller.”

On peut opposer quelques contre-arguments aux siens (à propos de l'autonomie de la batterie, notamment) et répliquer, surtout, que le livre électronique permet de retrouver un passage mille fois plus rapidement que le livre traditionnel (fut-il pourvu d'un index), et peut en outre contenir plusieurs livres dans un espace restreint. En fait, le livre électronique est sans doute au livre papier ce qu'Internet est à la recherche en bibliothèque.

Mais ce que je comprends de son explication, au-delà de la comparaison et d'une certaine réticence par rapport à la technologie, c'est l'amour de l'objet livre et la crainte de le voir disparaître - deux choses que je partage avec lui. Ainsi, je m'interroge : si le livre électronique devenait aussi répandu, pratique et bien fait que, disons, le iPod, est-ce que je me débarrasserais de mes bibliothèques? Le temps gagné pour la recherche en littérature serait considérable, mais est-ce que l'impersonnel e-book pourrait vraiment faire disparaître les quelque mille bouquins qui me font sacrer à chacun de mes déménagements? Est-ce qu'il pourrait remplacer le plaisir de tomber sur une belle édition d'un livre qu'on aime?

On pourrait faire le parallèle avec le mp3, mais il faudrait y opposer les vinyles, qui comportent une charge émotive plus forte que les CD ou les cassettes, et qui sont donc plus comparables aux livres. Les vrais amoureux de la musique que je connais, ceux qui l'aime comme j'aime la littérature, ont des mp3, bien sûr, mais aussi beaucoup de vinyles.

Alors? D'après vous?

samedi 17 octobre 2009

Paradoxe

"Écrire, comme immigrer, [...] c'est rejeter la famille et l'héritage." (Jacques Godbout)

Mais qu'est-ce qu'on fait quand écrire, c'est la famille et l'héritage?

Professionnel!


Je viens de découvrir que le professionnel personnage de Mario Lemieux, rendu célèbre par feu Macadam Tribus, existe toujours sur les ondes de la Première Chaîne : il a tout simplement déménagé chez Philippe Laguë (un ex de Macadam), qui anime la très sublime À la semaine prochaine!

C'est une festivité de réjouissance d'entendre à nouveau ce millionnaire de vestiaire. Tout ce qui manque, c'est le fameux "Professionnel, Jacques!"...

samedi 10 octobre 2009

De livres et d'industrie

Entendons-nous : j'aime bien Dompierre, et je lis avec plaisir les blogues de Caroline Allard (a.k.a. Mère Indigne) et de Pierre-Léon Lalonde (Un taxi la nuit). Mais je suis quelque peu ambivalente quant au nouveau projet de La Presse qui consiste à leur faire écrire à tous les trois (et à Dominique Fortier) une nouvelle inspirée d'un fait divers, puis à publier lesdites nouvelles.

Ambivalente, parce bon, si on voit la chose sous l'angle de l'industrie culturelle (je dé-tes-te cette expression), c'est peut-être pas mauvais. Après tout, ça consiste à diffuser des textes de fiction auprès du lectorat d'un journal, et ce n'est pas impossible que certains lecteurs aient ensuite envie d'acheter des livres.

Mais ambivalente aussi parce que, si on voit la chose sous l'angle de l'industrie culturelle, ce n'est après tout qu'un méchant coup de marketing. Ils n'ont pas invité Catherine Mavrikakis, Nicolas Dickner, Monique LaRue ou Dany Laferrière, et encore moins Jean-Marc Desgens, Hélène Dorion ou Jean-Paul Daoust. Non : ils ont choisi des auteurs à succès qui, s'ils font une littérature plaisante, ne passeront pas à l'histoire pour avoir apporté de l'eau au moulin de la recherche formelle. Ils ont choisi des gens populaires, qui font vendre des livres et, évidemment, des exemplaires du journal. Et dont, de toute façon, on entend constamment parler un peu partout (dans la mesure où c'est possible en littérature), au point de ne plus rien vouloir en savoir.

Vous l'aurez compris, d'une façon ou d'une autre, on parle ici d'industrie culturelle. Pas de littérature. C'est un peu comme le Salon du livre, vous voyez - on parle de livres (de cuisine, de photos, de scientologie), pas de Salon de la littérature. Et c'est ce qui me dérange. En soi, les nouvelles inspirées d'un fait divers, c'est pas une mauvaise idée; mais pourquoi est-ce qu'on n'invite que les auteurs dont on parle déjà? Pourquoi est-ce que, encore une fois, on ne prête qu'aux riches?

Et bon, en plus, la présentation du concept sur cyberpresse commence par un sujet amené que j'aurais refusé aux étudiants de mes ateliers de rédaction : "Depuis toujours, les écrivains s'inspirent des faits divers pour créer leurs fictions."

Come on. Êtes-vous des journalistes, ou bien vous êtes des élèves de secondaire 5?