samedi 7 novembre 2009

L'Amérique du Nord et la culture

En ce moment, ma façon de faire de la recherche ressemble beaucoup à de la navigation sur le web; vous savez, quand un clic en amène un autre et qu'à force d'aller de lien en lien, on finit par se retrouver sur un site qui était à mille lieues de ce qu'on cherchait au départ. En allant des notes de bas de page d'un article à celles d'un ouvrage, c'est comme sur Internet, on finit par tomber sur toutes sortes de drôles de choses.

Ma dernière trouvaille, à laquelle je suis arrivée par l'entremise de L'Écologie du réel, est un essai qu'on pourrait qualifier de philosophicosocial. L'Amérique du Nord et la culture, du Québécois Michel Morin, porte, bien sûr, sur l'Amérique du Nord et la culture, mais aussi, dans une perspective nord-américaine, sur la question nationale québécoise. Précisons qu'il a été publié en 1982 et que le sujet était particulièrement délicat à l'époque.

Le sujet n'est plus aussi chaud qu'alors et je ne suis pas la plus convaincue des souverainistes, mais je dois dire que l'avis de Morin sur l'indépendance m'a brassée.

Selon lui, "les intellectuels, pour autant qu'on puisse déceler chez eux une tendance dominante, au Québec, et peut-être aussi en Amérique du Nord, sont portés à surestimer l'importance et la signification des différences linguistiques" parce qu'ils présument que la langue est "l'expression nécessaire d'une tradition culturelle" et d'une "certaine vision du monde". Or, pour Morin, cette idée de la coïncidence d'une langue avec un contenu culturel défini, "caractéristique de la culture européenne", est fausse.

Énoncer une telle idée en 1982, alors que la question linguistique est au coeur des revendications nationales, c'est lancer un énorme pavé dans la mare. Surtout si on ajoute ensuite que "la différence linguistique des Canadiens français ne saurait [...] être considérée comme une survivance européenne en Amérique du Nord, et ne saurait en conséquence justifier le repli de cette différence à l'intérieur d'une représentation nationale à l'européenne." Pour Morin, il n'y a pas de contradiction entre le mode de vie nord-américain des Québécois et leur spécificité linguistique et, donc, "aucune urgence nationale". Il porte enfin le coup de grâce en affirmant "la faible qualité des oeuvres culturelles [que l'élite] s'emploie à produire malgré tout".

Bon, ouch. Ça choque évidemment de se faire dire tout cru que notre seul projet collectif est voué à l'échec parce qu'il s'appuie sur une prémisse fausse, et qu'en plus nos productions culturelles ne valent pas de la marde. On se pose des questions, on se demande si on n'essaie pas d'aller contre la nature nord-américaine, ou contre la mondialisation, the usual.

Puis on se rend compte que, finalement, la position de Morin est proche du plurilinguisme de Trudeau, sauf qu'il s'appuie sur Spinoza, alors ça a l'air plus impressionnant. Il suggère en effet que "la surestimation de la différence 'québécoise' procède d'une réflexion insuffisante sur la réalité nord-américaine", qui est celle du métissage linguistique et culturel. Ainsi, "la 'réussite' du Canada français n'aurait pas été de survivre en tant qu'identité ethnique homogène, mais au contraire, en raison d'une situation historique particulière, [...] d'être resté ouvert, disponible aux contacts avec l'autre (qu'il s'agisse de l'Indien, de l'Anglais, ou de l'Américain)". Enfin, il termine son essai en affirmant que le regroupement national ne peut être qu'une mauvaise idée puisque "l'avenir est du côté des individus, de l'individu instaurateur de sa propre loi, se donnant à lui-même son propre testament, forgeant sa propre langue" (ce qui est assez vrai, il faut dire).

En somme, la scission entre l'élite et le peuple vient de ce que l'élite n'a pas compris qu'on devrait vivre dans la diversité (donc elle s'acharne à réaliser un vieux modèle européen), alors que le peuple, lui, a tout saisi, puisqu'il vit dans la cohabitation paisible des individualités diversifiées.

C'est bien beau tout ça, mais il y a un truc qui m'échappe : les Québécois, ouverts sur l'autre? Depuis quand, exactement?

1 commentaire:

Danger Ranger a dit…

Clever...

Tu donnes à réfléchir!