jeudi 3 mars 2011

I travel a lot


Je le répète à qui veut l'entendre depuis des lustres : le théâtre, ce n'est pas qu'une affaire de texte. C'est pourquoi, quand on s'est fait offrir une paire de billets pour The dragonfly of Chicoutimi, j'étais contente de pouvoir enfin voir cette pièce sur scène. Parce que bon, en 1995, an de gloire de la création, j'étais un peu jeune. Et depuis, j'ai eu l'occasion de lire le texte plus d'une fois, dans le cadre de plus d'un cours à l'université, et de l'intellectualiser en masse. J'en gardais l'impression d'un texte glauque, inconfortable, et surtout très chargé symboliquement et émotivement.

Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit d'une pièce-monologue écrite en anglais avec une syntaxe française et qui raconte essentiellement l'histoire d'un homme de Chicoutimi qui, après un mutisme de plusieurs années, fait un rêve en anglais et se réveille anglophone. La lecture politique (on se rappelle que la création a eu lieu en 1995) se superpose à une lecture psychanalytique et en fait un texte en pelure d'oignon, qu'on n'a jamais fini d'explorer. Le chef-d'oeuvre de Larry Tremblay, certainement, qui est particulièrement doué pour plonger ses lecteurs-spectateurs dans l'inconfort.

Je ne pensais pas avoir l'occasion de voir cette pièce sur scène un jour et, malgré moi, puisqu'il s'agit d'un monologue sans doute, j'avais l'impression que la lecture était suffisante. Et voilà que le théâtre PàP décide de la monter au FTA 2010 (où je l'ai ratée), puis de la reprendre à Espace Go cet hiver. Bingo!

Ma découverte : The dragonfly of Chicoutimi, c'est drôle. Vraiment drôle. Pendant les 30-40 premières minutes, du moins. L'accent québécois sous les mots anglais, les mensonges répétés de Gaston Talbot, ses expressions toutes faites, tout ça est vraiment drôle.

Et d'autant plus que, sur la scène de Go, il n'y avait pas 1, mais bien 5 Gaston Talbot. Le coup de génie de Claude Poissant : multiplier la figure du personnage pour créer un rythme terriblement efficace et rappeler le caractère pluriel du Québec contemporain, sans toutefois tomber dans une représentation multiculturelle convenue et déplacée.

L'inconfort, la charge symbolique du texte restent présents, mais, portés par des comédiens extrêmement précis et une mise en scène physique mais dépouillée, ils deviennent plus signifiants, plus durs et plus vivables à la fois. Le travail de Poissant témoigne d'un profond respect du texte, tout en faisant exactement ce qu'on attend d'une bonne relecture, c'est-à-dire en y ajoutant des couches de sens supplémentaires, mais qui paraissent avoir été là depuis toujours, simplement invisibles à nos yeux de lecteurs maladroits.

Il serait difficile d'en dire beaucoup plus sans vous révéler les secrets du spectacle, mais je tiens à vous répéter que, comme tout texte de théâtre, The dragonfly of Chicoutimi est décidément un texte à voir et non à lire. Je n'avais jamais aimé ni compris cette pièce autant qu'en sortant d'Espace Go jeudi soir.

1 commentaire:

Marie-Pier a dit…

J'ai eu la chance de voir cette pièce au FTA 2010. Plusieurs personnes déploraient cette mise en scène, car ils avaient vu la version originale en 1995. Pour ma part, j'ai adoré cette vision de The Dragonfly of Chicoutimi.