samedi 10 octobre 2009

De livres et d'industrie

Entendons-nous : j'aime bien Dompierre, et je lis avec plaisir les blogues de Caroline Allard (a.k.a. Mère Indigne) et de Pierre-Léon Lalonde (Un taxi la nuit). Mais je suis quelque peu ambivalente quant au nouveau projet de La Presse qui consiste à leur faire écrire à tous les trois (et à Dominique Fortier) une nouvelle inspirée d'un fait divers, puis à publier lesdites nouvelles.

Ambivalente, parce bon, si on voit la chose sous l'angle de l'industrie culturelle (je dé-tes-te cette expression), c'est peut-être pas mauvais. Après tout, ça consiste à diffuser des textes de fiction auprès du lectorat d'un journal, et ce n'est pas impossible que certains lecteurs aient ensuite envie d'acheter des livres.

Mais ambivalente aussi parce que, si on voit la chose sous l'angle de l'industrie culturelle, ce n'est après tout qu'un méchant coup de marketing. Ils n'ont pas invité Catherine Mavrikakis, Nicolas Dickner, Monique LaRue ou Dany Laferrière, et encore moins Jean-Marc Desgens, Hélène Dorion ou Jean-Paul Daoust. Non : ils ont choisi des auteurs à succès qui, s'ils font une littérature plaisante, ne passeront pas à l'histoire pour avoir apporté de l'eau au moulin de la recherche formelle. Ils ont choisi des gens populaires, qui font vendre des livres et, évidemment, des exemplaires du journal. Et dont, de toute façon, on entend constamment parler un peu partout (dans la mesure où c'est possible en littérature), au point de ne plus rien vouloir en savoir.

Vous l'aurez compris, d'une façon ou d'une autre, on parle ici d'industrie culturelle. Pas de littérature. C'est un peu comme le Salon du livre, vous voyez - on parle de livres (de cuisine, de photos, de scientologie), pas de Salon de la littérature. Et c'est ce qui me dérange. En soi, les nouvelles inspirées d'un fait divers, c'est pas une mauvaise idée; mais pourquoi est-ce qu'on n'invite que les auteurs dont on parle déjà? Pourquoi est-ce que, encore une fois, on ne prête qu'aux riches?

Et bon, en plus, la présentation du concept sur cyberpresse commence par un sujet amené que j'aurais refusé aux étudiants de mes ateliers de rédaction : "Depuis toujours, les écrivains s'inspirent des faits divers pour créer leurs fictions."

Come on. Êtes-vous des journalistes, ou bien vous êtes des élèves de secondaire 5?

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Puisque je suis tombé sur cette note grâce à une alerte google à mon nom, je vais me permettre de te répondre pour souligner quelques petits détails qui me semblent erronés.

Tu dis: "Ils n'ont pas invité Catherine Mavrikakis, Nicolas Dickner, Monique LaRue ou Dany Laferrière, et encore moins Jean-Marc Desgens, Hélène Dorion ou Jean-Paul Daoust. Non : ils ont choisi des auteurs à succès..."

Sache qu'il y aura dix auteurs publiés sur cyberpresse. Les six autres ne sont pas encore annoncés. Ils sont peut-être les prochains à publier une nouvelle, je ne le sais pas plus que toi.
Autre chose: comment sais-tu qui a été invité à écrire et qui ne l'a pas été? Moi je n'en sais rien. On a tous des horaires très occupés, et peut-être que Jean-Paul Daoust dirait simplement "Non merci, je n'ai pas le temps." Pour avoir dix auteurs qui disent oui à un projet, il faut peut-être en inviter cinquante!
Autre chose, Dickner et Mavrikakis ont été les coqueluches des prix littéraires des deux dernières années. Tu peux les classer dans les auteurs à succès. Les deux sont plus connus que Dominique Fortier, qui en est à ses débuts et qui fait justement partie de ces auteurs à découvrir. Tu la laisses de côté dans ton énumération pour prouver ton point, cela s'appelle de la mauvaise foi. Et que dire de Dany Laferrière, que tu sembles classer dans les auteurs peu connus? Il est toujours aux quatre coins du monde à représenter notre littérature! Non mais, je rêve! S'il y en a un qui ne manque pas de visibilité, c'est bien lui.

Pour ma part, je serais fou de ne pas profiter de la chance que l'on m'ait beaucoup vu partout. Je tente de vivre de ma plume, ça m'oblige à un train de vie assez modeste, et je laisse rarement passer une opportunité. Est-ce mal? Devrais-je laisser la place que je me suis taillée à quelqu'un d'autre et retourner travailler dans un bureau? Présumer qu'inviter Dompierre relève plus d"industrie culturelle que de littérature, c'est plutôt blessant. J'exerce mon art avec la même passion qu'à mes débuts, très récents (2004) et je ne crois pas que ma visibilité empêche qui que ce soit d'accéder à la lumière. Je fais tout ce que je peux pour parler des livres de mes collègues quand j'en ai l'occasion, ne serait-ce que par mon rôle de porte-parole de la journée mondiale du livre et du droit d'auteur, de mes choix de lecture sur le blogue de Nouvel Auteur, le concours pour la relève littéraire chez Archambault, et à chaque fois qu'un lecteur me demande des suggestions de lecture.

Et je connais Caroline Allard et Pierre-Léon Lalonde, sache qu'ils ont tous les deux des emplois et qu'ils sont loin d'être les moteurs d'une industrie qui, selon toi, seraient censés attirer un énorme lectorat à La Presse. Combine les ventes de tous nos livres réunis, et nous sommes encore loin du compte des lecteurs de La Presse!

Pour ce qui est du thème de l'exercice, tu l'aurais peut-être refusé (mais pourquoi donc? Pourquoi refuser de les faire travailler à partir du réel ) à tes étudiants d'atelier de rédaction mais je crois que dans le cadre d'une publication dans un journal, c'est très à-propos! Et les dix auteurs qui ont accepté l'invitation l'on fait avec plaisir.

Sur ce, je retourne m'assoir sur ma fortune et mes lauriers.
Bonne journée!

Stéphane Dompierre

Esquimaude a dit…

Wow, je trouve très (très très) intéressant d'avoir le point de vue d'un des principaux intéressés, et j'avoue que ça me pousse à m'interroger.

Monsieur Dompierre, vous soulevez des bons points et je vais y répondre, au cas où vous auriez le goût de repasser lire les réactions que vous avez suscitées...

Commençons par la fin : ce n'est pas le thème que j'aurais refusé, puisque, je l'ai dit d'ailleurs, c'est une idée intéressante (et tout à fait "littéraire"). Le problème, c'est d'abord l'entrée en matière, c'est-à-dire le "depuis toujours" suivi d'une affirmation quelconque. Les profs se tuent à répéter aux élèves du secondaires, du cégep et de l'université que c'est navrant de banalité. Permettez que je m'attende à mieux d'un journaliste.

Ensuite, je ne reproche absolument pas aux auteurs d'avoir accepté de participer - j'aurais fait pareil à votre place, c'est une belle occasion de relever un défi et de publier un texte. Et je n'ai rien non plus contre vos façons respectives de faire votre travail, dont je ne doute pas de l'honnêteté et de la sincérité. Ce n'est pas votre travail que je considère comme relevant de l'industrie culturelle - c'est le traitement médiatique.

Vous avez raison, je ne sais pas qui a été invité et j'aurais pu choisir, en contre-partie, des auteurs moins "connus" que Mavrikakis, Dickner, ou Laferrière. J'aurais pu nommer beaucoup d'illustre inconnus, mais voilà : j'avais envie d'abord d'être réaliste (La Presse inviterait-elle vraiment un illustre inconnu?) et je voulais ensuite que les gens qui me liraient sache de qui je parlais, pour comprendre la distinction qui était sous-entendue. Si on se questionne un peu sur la sociologie de la littérature, on se rend compte assez vite qu'il y a d'un côté une production de large diffusion moins axée sur la recherche formelle, et de l'autre côté une production plus confidentielle et plus expérimentale. Et forcément, il finit par y avoir une hiérarchisation : les lettreux (j'en suis, mea culpa) mettrons la sphère "expérimentale" au-dessus pour des raisons théoriques, et le commun des mortels fera le contraire, pour des raisons inverses.

Aucun des auteurs que j'ai nommés sont véritablement expérimentaux (quoique Dorion...), et personne ne fait partie non plus de l'extrême "grande diffusion" : vous n'écrivez pas de romans Harlequin. Mais il reste qu'il y a une scission.

Je l'avoue, je n'ai pas lu Dominique Fortier, et c'est pourquoi je l'ai laissée de côté. Je considère par contre que vos livres ainsi que ceux de Caroline Allard et de Pierre-Léon Lalonde se situent davantage (en partie à cause du traitement médiatique, et en partie à cause du contenu) du côté de la "grande" production (dans la mesure, encore une fois, où on est au Québec...). Avouez que si on fait un sondage dans la rue, vous gagnez contre Catherine Mavrikakis pour ce qui est de la visibilité. Par contre, c'est elle qui gagne des prix littéraires d'envergure. Ça n'empêche pas que j'ai aimé vos livres - mais voyez-vous où je veux en venir?

Enfin, je me réjouis de voir les écrivains sur diverses tribunes, mais j'aimerais bien voir d'autres faces, des fois. Je n'irai pas jusqu'à dire (comme dans un des commentaires sur Un taxi la nuit) que c'est une affaire de clique. Mais je trouve quand même qu'on va souvent, en littérature comme ailleurs, vers les mêmes personnes, et j'ai souvent l'impression que c'est avant tout pour une question d'"exposure". D'où mon hypothèse qu'il est ici question d'industrie plus que de littérature.

Remarquez, c'est peut-être un hasard. Peut-être que certaines personnes sont simplement plus disponibles ou plus enthousiastes. Et peut-être aussi qu'au fond, en dehors de quelques geeks idéalistes, tout le monde s'en sacre de Jean-François Poupart, de Daniel Danis, de Patrice Desbiens et des autres.

Dans un cas comme dans l'autre, je n'y peux rien et je ne fais qu'analyser à distance - déformation professionnelle.

Caroline a dit…

Salut! Je comprends tes préoccupations, certainement légitimes mais qui, je crois, ne s’attaquent pas à la bonne cible en critiquant le projet de La Presse. Les raisons énumérées par Stéphane me semblent très pertinentes mais, étant aussi une auteure que tu utilises dans tes arguments, je tiens également à ajouter mon grain de sel à celui du collègue Dompierre.

Il faut savoir que la Presse n'a pas spontanément pensé à moi pour son projet, c'est moi qui me suis manifestée à la journaliste Chantal Guy en entendant parler de leur dossier. J'ai été ravie qu'elle accepte que je participe, puisque ça me donnait justement une occasion d’explorer un autre style que mon "traditionnel" Mère indigne. Donc, d'une part, on ne peut pas accuser la Presse d'avoir misé d'entrée de jeu sur ma popularité puisque c'est moi qui me suis proposée et, d'autre part, on ne m'a pas commandé du Mère indigne pour mieux faire vendre de la copie mais on m'a laissé le champ totalement libre pour proposer quelque chose de différent. Comme Stéphane, dire qu'on me passe dans le tordeur de l'industrie culturelle (en totale opposition avec la littérature) m'indispose: je n'aspire pas à faire des sous avec une recette, mais bien à écrire par envie et par besoin, et au meilleur de mon talent; que les gens aiment me lire et achètent mes livres est évidemment un gros bonus!

Ceci dit, je suis d’accord avec toi : accordons plus de place à la littérature au Québec, car elle en manque cruellement.

Caroline a dit…

Je viens de lire la réponse qui adresse certaines critiques! :-) Merci pour la précision quant à l'étiquette "industrie culturelle", qui ne s'applique pas à notre travail mais plutôt au traitement médiatique. Et je comprends tout à fait la "déformation professionnelle" qui fait analyser un projet comme celui de la Presse sous un angle différent que celui que j'ai personnellement. :-)

Esquimaude a dit…

"Il faut savoir que la Presse n'a pas spontanément pensé à moi pour son projet, c'est moi qui me suis manifestée"

Ah tiens, intéressant, ça. Ça change déjà la donne. Je me suis peut-être attaquée, en effet, à un projet qui n'était pas régi par la logique que je lui ai soupçonnée. Cependant, je pense que le problème s'étend au-delà.

"je n'aspire pas à faire des sous avec une recette"

Là par contre, j'insiste : je n'ai jamais accusé les auteurs de vouloir faire de l'argent avec leurs livres (ni ne leur ai reproché leur participation). Là n'est pas la question : je parle de traitement, ici. Mais je pense que je l'ai expliqué assez clairement dans ma réponse précédente.


Cela dit, merci à tous les deux pour ces commentaires.

Caroline a dit…

"je n'aspire pas à faire des sous avec une recette" je parle de traitement, ici. Mais je pense que je l'ai expliqué assez clairement dans ma réponse précédente.

En effet! Merci! :-)

Et bonne journée!

Anonyme a dit…

Pour le reste, on verra bien qui sont les autres auteurs invités!

Stéphane Dompierre